quartiers chics du royaume, les orfèvres marocains se modernisent en créant de nouvelles enseignes commerciales et en développant de nouvelles gammes de produits. Tour d’horizon d’un marché en or. xtrémité de Sidi Maârouf, dans la périphérie de Casablanca. Les unes après les autres, des trentenaires, coquettes comme des princesses, garent leurs carrosses rutilants aux portes d’une bâtisse tout aussi clinquante, plantée au milieu de cette zone industrielle champêtre. | |
Bienvenue à Oro Mecanica, le supermarché des bijoux “made in Morocco”. C’est ici que sont fabriqués plusieurs articles de bijouterie et joaillerie, qui se retrouvent dans les vitrines de différentes bijouteries du royaume. Les premiers servis sont évidemment les boutiques de la famille Lahjouji (la chaîne Passion), propriétaire des lieux. Dans le show-room de cette fabrique, le spectacle est unique : de longues files s’alignent devant les six comptoirs, où des commerciales échangent bijoux contre cash, à une cadence digne des caisses d’Acima. “Ici, il y a de tout : de l’or blanc, de l’or jaune, du classique, du moderne. Ce sont les mêmes articles que l’on retrouve sur les vitrines des boutiques, sauf qu’elles sont aux prix d’usine”, explique Hanane, une habituée des lieux. Au moins une fois par mois, elle s’offre, avec un groupe d’amies, une virée shopping chez Oro Mecanica. “Je dépense en moyenne 1500 dirhams, confie Hanane. Mais il m’arrive d’assister à des transactions totalisant des centaines de milliers de dirhams”. Des chiffres qui n’ont rien à envier aux prix des pièces proposées par les grands noms de la joaillerie mondiale, bien implantés, eux aussi, au Maroc. L’offensive des grandes marques Changement de décor. Rendez-vous à rue Aïn Harrouda, désormais surnommée “la place Vendôme casablancaise”. Et pour cause : le long de ses 400 mètres, la ruelle rassemble pas moins de six bijouteries, et pas n’importe lesquelles. Cartier fut la première griffe prestigieuse à ouvrir le bal des orfèvres internationaux sur cette rue, devenue depuis la plus chère de la métropole. “En ouvrant en 2004, on ne donnait pas cher de notre peau. Les gens nous traitaient de fous, arguant que les Marocains n’avaient pas les moyens de s’offrir des produits de cette marque”, explique la responsable de la boutique. Et pourtant, après trois ans d’existence, le business tourne à merveille, faisant même des émules. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que d’autres enseignes lui emboîtent le pas et s’installent dans cette petite rue, en faisant le repère par excellence de la clientèle “bling bling”. L’enseigne Chopard, installée depuis 2000 au Twin Center, a même dû déménager pour rester dans le standing de son rival. “C’est beaucoup plus pratique pour nos clients. Et il faut avouer que la boutique tourne mieux depuis”, explique Lotfi Sefrioui, le gérant du magasin, représentant du joaillier genevois. Une troisième marque, tout aussi prestigieuse, viendra bientôt poser ses bagages dans la rue Aïn Harrouda : il s’agit de Chaumet, dont la boutique ouvrira les portes dans quelques semaines. C’est le Saoudien Ali Bajaber - bien connu dans le milieu du luxe à Casablanca avec sa société de location de limousines - qui vient d’introduire cette carte parisienne, via un investissement colossal de 35 millions de dirhams. “Cela ne fait que commencer : le marché de la joaillerie au Maroc a encore de beaux jours devant lui”, assure-t-il. L’homme ne croit pas si bien dire : ses concurrents réalisent plusieurs ventes par jour, et pas seulement en produits premier prix (à partir de 10 000 dirhams généralement). Des montres coûtant 280 000 dirhams ou des rivières de diamants à 350 000 dirhams sont devenues des best-sellers. Une évolution du marché qui donne des ambitions encore plus grandes à certains. “J’espère pouvoir vendre un article exclusif à 10 millions de dirhams”, lâche, mine de rien, le patron de la boutique Chopard. C’est que les marchands marocains du luxe ont bien cerné le profil (et le potentiel) de leur clientèle désignée, celle qui n’a pas la phobie des zéros multiples sur un chèque et qui faisait déjà ses emplettes dans les capitales européennes. L’arrivée des grandes marques n’a fait que leur faciliter la vie. “Le paiement en dirhams, la possibilité de prendre son temps avant d’acheter, le service après-vente et les facilités de paiement sont autant d’avantages d’une présence sur place”, explique Ali Bajaber. Et il n’y a pas que cela. Même sur les prix de vente, le promoteur de Chaumet promet d’être plus compétitif que ses homologues étrangers. “Le foncier et la main-d’œuvre au Maroc restent bon marché par rapport aux capitales européennes. Et avec les accords d’association entre le Maroc et l’Union Européenne, les droits de douane ont quasiment sauté. Nous sommes alors en mesure de proposer aux Marocains des articles légèrement moins chers”, explique-t-il. Khmissa, la griffe marocaine La déferlante des enseignes mondiales de haute joaillerie a fini par secouer les artisans locaux. Désormais, une nouvelle génération d’orfèvres marocains réclame sa part dans ce marché qui explose. Outre Passion ou Azuelos (confortablement installées depuis des années), de nouvelles signatures locales ont fait leur apparition. Et pour se faire un nom sur le marché, on n’hésite pas à investir gros. Fini le temps des “Kissariate”, cachées au cœur des médinas : aujourd’hui, on opte pour les quartiers huppés de la métropole. La famille Hezzaz en est l’exemple-type. “L’atelier de la famille passe de père en fils depuis trois générations”, explique Shemsy, épouse Hezzaz, troisième du nom. Avec son mari, elle vient d’ouvrir un premier magasin Kara’s, au fameux triangle d’or casablancais. Un investissement d’une dizaine de millions de dirhams… pour tenir la dragée haute aux grandes marques. Le changement s’est étendu jusqu’aux ateliers : les articles modernes, inspirés des productions à l’occidentale, ont pris le dessus sur les traditionnelles parures en or jaune surchargées. “Les habitudes de consommation ont beaucoup évolué. Les Marocaines veulent des bijoux bien plus modernes, moins travaillés que les bijoux traditionnels”, explique Schemsy Hezzaz. Et pour concurrencer les grandes enseignes, on n’hésite pas à monter très haut dans le standing. “Nos collections sont composées de pièces uniques. Pour nos articles les plus recherchés, nous faisons appel à des designers étrangers, qui collaborent avec les plus grandes marques internationales”, précise Shemsy Hezzaz, qui annonce déjà l’ouverture d’autres points de vente sous l’enseigne Kara’s. Le concept a bien réussi à une autre marque marocaine : Kallista. Le nom, inspiré d’une célèbre horloge sertie de diamants, qui avait fait sensation dans les années 80, lui donne même cette petite touche internationale qu’elle revendique. “En plus de notre présence dans les trois grandes villes du royaume, d’un point de vente au Koweït et d’un bureau à Genève, nous avons d’autres projets d’extension à l’international”, confie Asma Elmernissi, directrice commerciale de Kallista. La marque représente d’ailleurs des cartes de renom, comme Piaget ou Mauboussin. L’enseigne a également pris pied dans la haute horlogerie, ticket d’entrée quasi obligatoire dans le club fermé de la joaillerie haut de gamme (voir encadré). Entre l’industrie et le négoce Les marques marocaines n’abandonnent pas pour autant les bijoux traditionnels, dont la réserve d’amateurs ne s’est pas encore tarie. “Nous avons réalisé une ceinture en or qui a eu beaucoup de succès”, explique Asmae Ouazzani. Idem chez Kara’s, où toute une vitrine est dédiée aux bijoux “beldi”, “la grande spécialité de la famille”, tient à rappeler Shemsy Hezzaz. Car la niche du bijou traditionnel reste porteuse, malgré le changement des habitudes d’achat. Du coup, même les marques internationales semblent avoir des visées sur ce segment. En 2005, Chopard a introduit une Khmissa, vendue exclusivement au Maroc. Le rival Cartier a répliqué une année plus tard. Probablement une manière de sonder le marché, même si la représentante de la marque à Casablanca s’en défend : “Ce n’est pas uniquement lié à notre présence au Maroc. La maison Cartier a décidé, fin 2006, de rafraîchir ‘la main de Fatma’, une création qui date de 1830, dans le cadre d’une collection thématique liée aux porte-bonheur”, assure-t-elle. Pour autant, dans les boutiques casablancaises des deux marques, on avoue que la Khmissa a été un best-seller de l’année et qu’ils réitéreraient volontiers l’expérience. Cette volonté de s’inspirer des produits locaux est aussi une vision stratégique chez Chaumet : la marque compte dépêcher son chef d’atelier parisien pour suivre de près les deux magasins prévus pour 2008 à Casablanca et Marrakech. “À terme, nous pensons installer des ateliers sur place et développer des articles spécifiquement dédiés au marché marocain”, explique Ali Bajaber. Et de poursuivre : “Les diamants qui circulent dans le monde viennent d’Afrique. Les Marocains ont tout intérêt à profiter de ce trésor qui ne fait, jusqu’à présent, que survoler son territoire”. Entré de plain-pied dans l’économie mondiale, le business de la joaillerie au Maroc est appelé à évoluer. Les bijoutiers locaux ne peuvent se contenter de suivre uniquement les tendances, mais devront trouver leurs propres voies. À Sidi Maârouf, dans l’usine d’Oro Mecanica, où les prix de vente démarrent à 300 dirhams, on mise tout sur la production. Une stratégie qui semble tenir la route : l’usine exporte même ses produits vers les Etats-Unis. À la rue Aïn Harrouda, au triangle d’or casablancais, les enseignes choisissent plutôt le haut de gamme en jouant le “rafraîchissement” des bijoux marocains et l’installation de signatures de luxe. Le pari est audacieux. Mais qui sait ? Peut-être qu’un jour, la “mdamma” d’Azuelos se retrouvera dans les vitrines des boutiques de la Place Vendôme. La vraie. |
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